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25 janvier 1982 - Il y a 40 ans, l'incendie de la rue Collin

René Jobin

Reportage par : René Jobin


Archives Appel 99

Photo par : Archives Appel 99

25 janvier 2022


Il est 4h04 du matin, et nous sommes le 25 janvier 1982. Une neige abondante est tombée sur la ville de Québec pendant la nuit et les vents génèrent un froid mordant de -42 degrés Celcius. Ce message du répartiteur retentit soudainement dans les casernes : "Première alarme au 10 rue Collin, je répète, première alarme au 10 rue Collin, zone 1-3, pour les casernes 1, 3 et le 140."

Les pompiers se préparent pour se mettre en direction de l'intervention, et ne savent pas à quel point cet incendie sera dévastateur. Après plus de 57 heures de combat, cette conflagration aura réduit en cendres sept bâtiments du Vieux-Québec à l'intersection qui correspond aujourd'hui à la rue de l'Hôtel-Dieu (anciennement Collin) et de la rue Saint-Jean.

Pour nous remémorer cet incendie, j'ai fait appel aux souvenirs de Christian Thibault et André Savard. Christian Thibault était à l'époque journaliste radio pour la station CHRC, et s'intéressait particulièrement au domaine de l'incendie. André Savard était enquêteur pour le Commissariat aux incendies de la Ville de Québec. Les témoignages qui suivent sont appuyés par un article rédigé par Christian Thibault qui a été publié dans la prestigieuse revue américaine Firehouse en avril 1982. Il est possible de consulter cet article, avec l'autorisation de reproduction de Firehouse, en suivant le lien à la fin des témoignages.

Bonne lecture !


René Jobin
Rédacteur en chef
Avec la participation spéciale de Christian Thibault et André Savard.



Témoignage de Christian Thibault



En plus de 45 ans de carrière comme journaliste aux faits divers, le feu de la rue Collin à Québec en 1982 fut certainement le plus gros incendie qu’il m’ait été donné de voir dans la ville de Québec. De mémoire, il n’y a que le feu du Collège Jésus-Marie à Sillery, quelques mois plus tard en mai 1983, qui aura été plus gros encore!

Il y a maintenant 40 ans de cela, et les souvenirs s’effritent. Je peux cependant penser à au moins cinq faits marquants lorsque je me remémore cet incendie. Allons-y en ordre chronologique.

D’abord, à cette époque, j’étais le voisin immédiat d’André Savard. Nous partagions le même stationnement sur la rue d'un paisible quartier résidentiel de Duberger. De ce fait, j'avais un grand avantage: je n’avais plus à écouter mon scanner la nuit puisque André répondait aux deuxièmes alarmes pour le Commissariat. C’est ainsi qu’il m’appela à la 3e alarme de la rue Collin, peu après 4h du matin, après une nuit quand même satisfaisante pour mon sommeil. Me lever à cette heure était dans mes heures habituelles!

Mon premier souvenir de ce feu, en pleine haute-ville dans le Vieux-Québec, c’est que je ne comprenais pas pourquoi on avait donné une 3e alarme alors qu'il n'y avait pas de flammes visibles, tout juste un peu de fumée qui sortait de l’édifice de la rue Colin, par une ouverture qu’on avait créée sur le trottoir pour pouvoir rentrer la marchandise de la taverne située à l'intersection de la rue Saint-Jean. À cette époque, c’est comme ça qu’on rentrait les caisses de bières à plusieurs endroits, par une ouverture dans le trottoir qui donnait sur une fenêtre du sous-sol.

Aussi, je me souviens que je ne comprenais pas de quelle façon le feu se comportait, et je n'étais pas le seul! Même le directeur du service, Dominique Gonthier, avait de la difficulté à comprendre comment les flammes pouvaient passer un étage à un autre, et s’attaquer à un autre étage plus haut. Je me souviens également, pour avoir reconstitué cet incendie pour le magazine Firehouse, jusqu’à quel point ça avait été difficile de faire le cheminement de la progression des flammes qui, à la toute fin avaient détruit 7 édifices! C’est quelque chose!

Ce matin-là, j'étais en direct pour CHRC dans l’émission d’André Arthur. Inutile de vous dire qu’il fallait être "sharp"! Pendant que je faisais une intervention, une section de mur s’était effondrée au moment où je parlais. J'imagine que j'ai paniqué un peu et décrit la scène en direct en disant que je ne savais pas si des pompiers avaient été atteints par les débris qui s’étaient écrasés. ll semblerait que les téléphones ont commencé à sonner à la station de radio de la part de femmes de pompiers qui étaient extrêmement inquiète. Arthur a directement communiqué avec moi en dehors des ondes après mon intervention en disant : "Tu vas te calmer le pompon, t’arrêtes pas d’énerver les femmes des pompiers! Tu me reviens en ondes en faisant un bilan à savoir s’il y a eu des blessés ou non, comprends-tu ça?". Finalement, personne n'a été blessé.

Probablement le souvenir le plus marquant, et une chose que je n’ai vue qu’une seule fois dans ma vie. J’étais habillé à l’époque en habit de combat, à mon souvenir le seul journaliste à ce moment-là, et bien sûr je pouvais parler avec les pompiers que je rencontrais sur les lieux de l’intervention. Quelques-uns m’ont dit, et vraiment je ne les croyais pas : "Tu vas voir Christian, il (le feu) va traverser l’autre bord (de la rue). "Ben voyons donc ça ne se peut pas", je leur ai répondu. Par la suite j’ai rencontré André qui se dirigeait vers le camion du Commissariat qui était stationné sur le plateau au deuxième étage de l’édifice en face de la rue Colin. Je lui raconte ce que les pompiers m’ont dit et une fois rendu sur le stationnement, croyez-le ou non, nous avons vu les flammes traverser la rue d’un jet incroyablement puissant. Elles se sont attaquées aux fenêtres dans le haut de l’édifice de l’autre côté de la rue et ont embrasé la pièce. Je n’avais jamais vu cela de ma vie et je ne l’ai jamais revu depuis!

Christian Thibault



Témoignage d'André Savard



À l’hiver 1982, je suis investigateur au Commissariat des incendies de la ville de Québec et à ce titre, j’ai déjà assisté au combat de plus de 3,000 incendies de toutes natures et de toute importance. Par passion et selon mes habitudes, ma radio m’accompagne vingt-quatre heures par jour alors que j’entends aux petites heures du matin, comme c’est souvent le cas et qui ne trompe pas, un appel de 3e alarme aux intersections des rues Saint-Jean et Collin. Il fait très froid, il neige et je me rends à la caserne 5 chercher l’unité d’enquête 59. À mon arrivée sur les lieux, le feu fait rage dans un édifice qui forme l’angle nord-est de l’intersection qui logeait autrefois le restaurant Grenada disparu pour laisser place à la Taverne du Quartier Latin. J’installe notre bureau mobile sur la plateforme du stationnement de l’édifice Chauveau, à proximité et face au sinistre, toujours sans nuire aux opérations des combattants et prêts à repartir advenant un incendie simultané, chose assez fréquente durant ces années. Après avoir pris quelques photographies extérieures d’usage et comme il n’y a aucun témoin à interroger, je m’installe dans la partie avant du camion avec le commissaire Cyrille Delâge pour assister à l’évolution du travail des pompiers en attendant de pouvoir entrer à l’intérieur, ce que nous avons l’habitude de faire dès que le feu est contrôlé, et ce, en toutes circonstances, sans trop d’égard aux dangers qui nous guettent. L’importance de déterminer la cause et les circonstances d’un incendie est capitale à ce moment et les conditions dangereuses de cette tâche relèvent plutôt du domaine du défi que de la santé et la sécurité au travail.

Mon ami reporter radio de faits divers et voisin Christian Thibault vient nous saluer et nous surveillons ensemble une scène d’incendie habituelle sans trop de flammes avec présence de fumée constante qui semble se dégager de la structure du bâtiment. Le combat est long et difficile et les effectifs de la troisième alarme sont engagés à fond, dans la neige et le très grand froid sans rappel de personnel supplémentaire. La ville compte moins de casernes et de pompiers en service. Je crains le pire et suis rapidement conscient qu’il sera quasi impossible de venir à bout de cet incendie avec les forces en place. Aucune protection n’est appliquée sur l’édifice voisin et le feu progresse de toute évidence, les équipes qui travaillent sur les balcons dans la partie arrière doivent quitter leurs positions alors que nous assistons tout à coup à l’embrasement généralisé du dernier étage et à la propagation immédiate dans l’édifice voisin de l’autre côté de l’étroite rue Collin. Incrédules, nous voyons d’immenses flammes traverser la rue et mettre feu à un autre édifice qui semblait jusque là épargné. Un appel 99 est lancé sur les ondes. Nous sommes tous trois sidérés et certains pompiers changent d’édifice et doivent maintenant faire face à deux incendies majeurs en même temps, avec peu de personnel et le résultat que l’on connait.

Il faudra plus de vingt-quatre heures aux pompiers pour dégager leurs équipements ensevelis sous la glace à l’aide de la bouilloire roulante et plus du double avant que nous n’ayons accès au lieu avec le chimiste de l’institut médicolégal et les policiers municipaux pour débuter nos travaux de recherches dans un cadre de dangerosité extrême qui serait totalement inacceptable de nos jours. L’examen de la scène démontre alors que l’origine du sinistre se situe au sous-sol, que le feu progresse dans la structure et se propage aux étages supérieurs pour percer au toit et se propager à l’édifice voisin.

Sur les lieux, le maire Jean Pelletier incrédule s’enquiert de ce qui s’est passé.

André Savard